L’entretien annuel au service de la (dé)motivation ?

Les entretiens annuels sont de retour et c’est toujours une période délicate pour tous les RH, les managers et les collaborateurs. Acte managérial par excellence, qui se traduit par une charge de travail très importante pour tous ceux qui ont à conduire ces entretiens, on ne vérifie pas toujours qu’ils sont bien au service du développement et de l’engagement des équipes.

Et malheureusement, c’est loin d’être toujours le cas… essayons de comprendre pourquoi.

L’entretien annuel formel est arrivé dans l’entreprise dans les années 80/90 pour introduire la culture du résultat et c’était une bonne chose.

En tant que professionnelle des RH, je l’ai longtemps vécu comme un « mal nécessaire » :

J’étais sensible à la charge de travail très importante pour les managers, à la frustration, voire la colère de certains collaborateurs à l’issue de leur entretien et j’entendais l’opposition assez féroce des représentants du personnel. Cependant, je pensais que cet exercice était indispensable pour reconnaitre la performance de chaque collaborateur, déterminer son niveau de rémunération, voire celui de son bonus, et lui donner les éléments de compréhension de sa gestion de carrière.

Et si l’entretien se passait mal, il m’était facile de rejeter la faute sur le manager qui ne s’y était pas bien pris, était maladroit ou mal formé, …

Jusqu’à ce que je découvre en 2016 le résultat d’études réalisées outre-Atlantique (cf. Dr. David Rock, NeuroLeadership Institute) qui mettent en évidence la chute importante de l’engagement général en lien avec les entretiens d’appréciation. Si l’on comprend bien qu’un collaborateur mal apprécié sorte démotivé de son entretien, c’est plus difficile de comprendre pourquoi c’est aussi le cas quand la performance du collaborateur est évaluée « bonne ». La raison en serait assez simple : au fond, nous voudrions tous être reconnus comme des collaborateurs « excellentissimes », bien supérieurs aux autres et donc figurer en haut du classement. Evidemment, ce n’est pas possible. Au cours de l’entretien, le manager peut donc s’évertuer à passer des messages positifs, la case est déjà remplie et empêche le collaborateur de les recevoir comme tels. La rencontre peut alors difficilement avoir lieu.

Le problème serait donc inhérent au contenu de l’entretien lui-même et à la notion d’évaluation, et donc de jugement. Etablir le niveau de la performance sous forme d’une note (par exemple de 1 à 5) ou d’une appréciation (aux attentes, en-dessous ou au-dessus, …) revient d’une certaine façon à nous renvoyer tous sur les bancs de l’école. Difficile à vivre, même pour ceux qui ont eu une scolarité heureuse !

Autre aspect important : l’évaluation est communiquée comme une donnée objective (elle peut même être le résultat d’un long processus de consolidation croisée) alors qu’elle n’échappe pas aux projections du manager. En réalité, l’évaluation « parle » autant du manager que du collaborateur dans la mesure où nous ne pouvons être sensibles chez les autres qu’aux qualités ou aux défauts qui nous sont familiers. Difficile à accepter mais ce qui nous est étranger nous échappe totalement ! On ne peut donc pas s’étonner que nombre de collaborateurs ne se reconnaissent pas dans la photo que leur renvoient leurs managers.

Avoir cela en tête permet de mieux comprendre certains revirements de situation. Par exemple, il m’est arrivé plusieurs fois de devoir répondre à des demandes insistantes d’un manager pour récompenser une assistante qu’il estimait particulièrement performante et six mois plus tard, après le départ dudit manager, devoir trouver une solution de reclassement car la même assistante était devenue incompétente aux yeux du nouveau manager. Cherchez l’erreur…

Si nous retirons la notion d’évaluation de l’entretien annuel, que reste-t-il ?

L’entretien annuel, qui peut être réalisé à une fréquence plus rapprochée, est le lieu et le moment idéal pour :

  • fixer des objectifs, car c’est ce qui permet d’identifier clairement la cible et de construire un plan d’action pour l’atteindre. Ce sont les objectifs qui permettent de passer d’une idée à une réalisation.
  • donner du feedback. Le feedback, respectueux et constructif, basé sur des faits observés, est essentiel pour que le collaborateur sache où il en est et puisse se développer. Pour le manager, la discussion va lui permettre de mieux comprendre les situations vécues par le collaborateur et identifier ses besoins éventuels.

A coup sûr, un entretien centré sur ce qui est à faire et comment le faire, dans le cadre d’une discussion ouverte, ne peut qu’être au service de la motivation et ne rencontre aucune contre-indication !

On peut rétorquer que l’évaluation reste indispensable pour définir la révision de situation :

Dans la pratique, c’est rarement vrai. Un manager n’a en général pas besoin de mettre une note pour savoir comment il souhaite augmenter son collaborateur. Pour s’en convaincre, il suffit de penser au nombre de fois où niveau de performance attribué et augmentation de salaire demandée ne sont pas cohérents, ceci pour d’excellentes raisons.

En revanche, au moment de fixer le pourcentage d’augmentation, ne pas se soucier du niveau de la rémunération réelle du collaborateur, et comment celui-ci se situe parmi ses pairs, est un réel problème. Apporter des éléments simples aux managers pour qu’ils puissent en tenir compte (sous forme par ex. de nuages de points sous Excel) est d’une aide précieuse.

Photo : Unsplash / Toa Heftiba