Agathe vient d’avoir 37 ans et ça va plutôt bien pour elle. Avec son conjoint, ils sont les heureux parents de deux enfants qui se portent bien, grandissent tous les jours un peu plus beaux et intelligents. Ils en tirent une assez grande fierté !
A titre professionnel aussi, ça va plutôt bien pour Agathe : après un parcours universitaire sans faute, elle a intégré une grande entreprise au sein de laquelle elle se sent reconnue : rigueur et exigence, engagement, créativité… ce sont de belles qualités professionnelles qui lui sont souvent attribuées. Il est vrai qu’Agathe n’a pas son pareil pour appréhender un problème complexe, en faire une synthèse accessible et proposer une solution innovante qui prend en compte tous les paramètres. C’est pour cette raison que même son responsable fait souvent appel à elle quand il est confronté à une question qui sort de l’ordinaire.
En même temps, Agathe reconnait bien volontiers qu’elle a son caractère et que la vie avec elle n’est pas toujours facile : elle aurait tendance à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas (en tout cas, c’est ce qu’elle croit). Elle ne lâcherait jamais rien et se satisferait difficilement de demi-mesures ou de solutions bancales à ses yeux. Mieux vaut ne pas essayer de cacher la poussière sous le tapis quand elle se trouve dans les parages, vous vous attireriez ses foudres !
A l’occasion d’une évolution de son périmètre de responsabilité, Agathe se voit proposer un coaching par son entreprise. Le Responsable RH le lui « vend » en parlant d’accélérateur de carrière, la finalité de ce coaching étant de développer son leadership. Pourquoi pas, se dit Agathe, c’est peut-être l’opportunité de trouver les réponses à mes questions !
Mais au moment de formuler ses questions auprès de son coach, son esprit, qui est si affûté d’ordinaire pour traiter les problèmes extérieurs, s’embrume. Elle ne sait plus trop, elle ressent confusément quelque chose mais elle a du mal à mettre en mots : elle parle de son stress qui ne lui laisse pas beaucoup de répit, de sa trop grande susceptibilité, de sa difficulté à prendre du recul et à ne pas se sentir concernée par tout ce qui l’entoure, de sa difficulté à accepter ou à se faire accepter par les autres.
Derrière les apparences, il y aurait quelque chose qui cloche chez elle mais elle ne sait pas bien dire quoi…
Au fil des mois, Agathe parvient progressivement à mieux identifier ce qu’elle ressent et à mettre des mots : une première mise à distance s’opère. Quand elle découvre ce qu’on nomme communément l’hypersensibilité, c’est un soulagement. Ce n’est pas nécessairement confortable à vivre mais pour Agathe nommer sa différence, c’est mettre le doigt sur sa singularité et commencer à l’apprivoiser pour mieux vivre avec. Après tout, l’hypersensibilité, c’est d’abord un atout avant d’être un handicap.
Mais, Agathe n’est pas au bout de ses surprises. Comme elle a de moins en moins peur de sa peur, elle commence à la laisser s’exprimer sans chercher à la réprimer : le cœur qui bat la chamade, le gouffre qui se creuse dans son ventre, la respiration qui se coupe, la voix qui devient inaudible … Elle connait bien toutes ses sensations, elles se sont toujours manifestées à la moindre occasion et surtout au pire moment. Jusqu’à présent, Agathe cherchait à ne pas en tenir compte, à passer outre, à faire comme si de rien n’était … En acceptant de les laisser s’exprimer, Agathe mesure leur intensité et réalise qu’au fond, elle est habitée par une peur panique, en décalage complet avec la vie qu’elle s’est créée et les dangers réels auxquels elle est exposée. Une peur indicible qui vient de très loin, qui échappe à toute rationalité. Bien sûr, elle peut trouver des explications dans son enfance, dans le comportement de ses parents, de sa mère surtout, dans son histoire familiale, mais comprendre ne lui permet pas de traiter ses manifestations. Des émotions anciennes se sont comme incrustées, et cette détresse qui n’a jamais dit son nom, resurgit sans crier gare.
Pour Agathe, cette révélation marque le début d’une nouvelle étape. Bien sûr, sa détresse ne disparait pas par magie. Bien sûr, Agathe va continuer à ressentir des périodes de stress mais ce n’est plus comme avant : en étant à l’écoute de ce qui s’exprime, ses moments de panique perdent progressivement de leur intensité. Agathe a le sentiment de réinvestir physiquement son corps, de reprendre possession d’elle-même, de se remplir de matière. La sensation de n’être qu’un bouchon balloté par une mer déchainée commence à s’estomper.
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