Process et outils ne suffisent pas à rendre une démarche Talents efficace

Dans la plupart des grandes entreprises, une démarche bien structurée d’identification et de développement des Talents existe.

Bien sûr, chacun d’entre nous a un ou des talents qui s’exprime(nt) dans nos façons de faire professionnelles : l’un est capable de débloquer une situation complexe en la nommant avec simplicité et justesse ; un autre saura intuitivement identifier la bonne solution et construire le chemin pour la mettre en œuvre ; le troisième saura créer les conditions pour amener une équipe à se dépasser, …

Chacun a un, voire plusieurs, talent particulier dans lequel il excelle. La Démarche Talents ne vise pas à identifier ces talents spécifiques pour placer chaque collaborateur dans les conditions où il sera particulièrement performant. Ce que vise la démarche, c’est l’identification des Hauts Potentiels, en clair ceux qui ont les capacités d’occuper un poste à haute responsabilité dans le futur.

On mesure bien l’intérêt pour l’entreprise de ce type de démarche qui vise à développer, préparer et retenir les Hauts Potentiels et éviter ainsi d’avoir recours à des recrutements extérieurs pour pourvoir ses postes stratégiques, recrutements qui peuvent s’avérer longs, coûteux et risqués. Plus le niveau de responsabilité du poste est élevé, plus le profil est senior, et plus le risque d’échec est important et l’erreur peut avoir des conséquences dramatiques sur les résultats de l’entreprise.

En intégrant les valeurs prônées par l’entreprise dans les critères d’identification des Hauts Potentiels, la Démarche présente également l’avantage de repérer les collaborateurs qui ont les attitudes et comportements attendus, de les placer dans les postes clé et ainsi d’accélérer le déploiement de sa culture dans l’ensemble de son organisation.

En pratique, l’animation d’une démarche Talents se révèle être un exercice difficile :

– identifier un potentiel consiste à faire une sorte de pari sur l’avenir. Comment savoir, si dans les années futures, la personne aura développé le portefeuille de compétences pressenties chez elle ? Evoquer un potentiel consiste à formuler des hypothèses qu’il est préférable de questionner pour s’assurer de leur caractère réaliste.

– en général, l’entreprise n’a pas recours à des tests de personnalité. L’évaluation subjective du potentiel est faite par des personnes, principalement les managers, qui en majorité ne possèdent pas les aptitudes qu’ils ont à détecter chez leurs collaborateurs et ne sont pas formés pour le faire.

– il y a une très grande diversité de profils et les Hauts Potentiels eux-mêmes n’ont pas toujours conscience de leurs qualités. C’est particulièrement vrai chez les femmes qui ont plus de difficulté à se mettre en visibilité et à se projeter sur des postes à responsabilité, occupés principalement par des hommes dans beaucoup de secteurs.

Dans les faits, la Démarche, intellectuellement très séduisante, se traduit assez souvent par des résultats décevants. Ainsi, dans certaines organisations, la liste des Hauts Potentiels se révèle être le reflet de l’organisation existante : y figurent principalement les personnes qui occupent déjà les postes importants de l’organisation sans qu’aucun plan de développement n’ait pu être élaboré pour les accompagner à un niveau supérieur. Dans ce cas, autant dire que l’exercice a peu d’intérêt.

Il arrive également que lorsqu’un collaborateur prometteur se distingue, il se trouve littéralement “happé”. Promu très rapidement dans une fonction pour laquelle il n’est pas prêt, le collaborateur se trouve en échec et passe brutalement de la lumière à l’ombre. Il est alors aisé de porter le discrédit sur la démarche, qualifiée de contre-productive, ou bien sur le collaborateur qui n’aurait pas su saisir sa chance. C’est plutôt du côté de la hauteur de la (ou des) marches qu’on a voulu faire franchir au collaborateur et/ou du défaut d’accompagnement qu’on devrait plutôt investiguer ….

 

Dans les guides mis à disposition des RHs et des managers en charge de l’identification et du développement des Hauts Potentiels (HP), on trouve le plus souvent une description assez précise de critères qui facilitent l’identification d’un Haut Potentiel en prenant appui sur des faits directement observables dans l’exercice des missions du collaborateur :

  • La vitesse d’apprentissage : le HP est une personne qui comprend, apprend, s’adapte rapidement. Pas besoin de longues années d’observation, c’est au contraire dans les premiers mois/années qui suivent une prise de fonction, un changement d’entité ou de périmètre… que le collaborateur va se démarquer par rapport à ses collègues en atteignant plus vite un haut niveau de compétence. Dans les entreprises où les rythmes sont plutôt lents, où il faut démontrer sa qualité pendant plusieurs années pour espérer être remarqué, la rencontre risque de ne jamais se produire : au bout de 2 ans, le HP commence à se sentir à l’étroit, montre des signes d’impatience, voire commence à contester ouvertement l’autorité de son responsable… Si l’entreprise ne lui donne pas la possibilité de s’investir dans de nouveaux challenges, le “waouh” du début risque fort de tourner à la déception ou à la colère chez le responsable hiérarchique.
  • Le niveau de performance : les résultats obtenus par le collaborateur constituent un critère important si on ne veut pas courir le risque d’identifier des “beaux parleurs”. Un HP apprécie les situations et problèmes complexes, élabore des plans complets qui intègrent des solutions originales et met en œuvre son plan d’action pour traiter en profondeur la situation. Il obtient des résultats jusqu’alors considérés par son environnement comme hors d’atteinte.
  • L’engagement et la motivation : les HP cherchent à développer leurs compétences (c’est un domaine qui leur tient à cœur), à augmenter leur impact sur les autres, à contribuer à faire avancer l’entreprise. Ce critère d’ambition n’est pas toujours bien pris en compte dans les entreprises. Il arrive que des collaborateurs se montrent au fond peu enclins à s’investir, sans bien sûr l’exprimer ouvertement : dans les faits, ils sont peu disponibles, cherchent à limiter leurs déplacements ou leur participation dans des groupes de travail et espèrent se préserver de trop de responsabilités dans le futur … De fait, ces éléments sont des facteurs limitant de carrière, de nature à exclure le collaborateur des parcours de développement prévus pour les HP.
  • Du leadership en accord avec les valeurs de l’entreprise. Ce dernier critère intègre la façon d’interagir et de travailler avec les autres et permet de veiller à ce que la manière d’obtenir les résultats soit bien conforme aux attitudes et comportements attendus par l’entreprise chez l’ensemble du personnel, et en particulier chez les leaders et managers. Dans les valeurs propres à chaque entreprise, on peut trouver par exemple : l’innovation, l’esprit d’équipe, la culture du résultat, ou encore l’intégrité…

 

On le voit ici, tous ces éléments paraissent assez sensés. Si les démarches Talents ratent leurs objectifs dans les entreprises, quelles en sont alors les principales raisons ?

Dans la pratique, les RH et les managers reçoivent les différents documents (souvent en anglais) avec très peu d’explication. L’accent est mis principalement sur le process, les outils et tableaux à renseigner et surtout, surtout, les «deadlines » à respecter.

Pour améliorer la valeur ajoutée de la démarche, voici quelques préconisations de bon sens :

  • Ne pas se contenter de diffuser les guides et prendre le temps de bien partager les concepts et définitions avec les RH et managers. Le sujet est plus complexe qu’il n’y parait et plein de questions se posent quand on n’est pas familier du sujet.
  • Pour la fonction RH, se positionner comme un réel partenaire des managers : rencontrer toutes les personnes du secteur pour être en mesure de questionner, challenger, proposer. Tous les Hauts Potentiels ne cochent pas d’emblée toutes les cases, et le talent peut même avoir un prix. Le collaborateur peut avoir besoin d’être spécifiquement accompagné pour traiter un sujet particulier. Ce serait dommage de passer à côté…
  • Se donner les moyens de réellement développer les HP. Les solutions ne manquent pas : formation, tutorat, coaching, accroissement de responsabilités… Malheureusement, après la phase d’identification, il est fréquent qu’il n’y ait aucun suivi. Pour répondre à son objectif, l’identification d’un HP doit forcément être accompagnée d’un plan de développement. C’est encore plus vrai pour les femmes qui peuvent spécifiquement avoir besoin de développer leur confiance en elle et d’aide pour se projeter. Le choix d’un mentor (de préférence une femme pour favoriser l’identification) peut les y aider.
  • Être à l’écoute des managers. La charge émotionnelle sur ce type de sujet est importante, la démarche amène les managers, comme les RHs, à se questionner sur leur propre potentiel et peut réveiller des frustrations sur leur parcours professionnel et le traitement dont ils ont eux-mêmes bénéficié…

 

J’ai récemment animé plusieurs ateliers sur ce thème auprès d’une communauté de Responsables Ressources Humaines d’un grand groupe industriel. La réflexion d’une des participantes à l’issue de ces ateliers résume bien le vécu de la fonction sur le sujet : « Ah, ça fait du bien de réfléchir un peu… »

Photo : Unsplash / Timon Studler